De nouvelles recherches révèlent des abus persistants dans les mines de RDC alors que la demande en minerais critiques explose avec la transition énergétique verte
Alors que des centaines de dirigeants miniers et de responsables gouvernementaux se réunissent cette semaine à Lubumbashi, en République démocratique du Congo, à l’occasion de la DRC Mining Week, de nouvelles recherches de terrain révèlent que les travailleurs des mines industrielles de cuivre et de cobalt du pays restent piégés dans la pauvreté et subissent des violations systématiques de leurs droits, malgré la demande mondiale croissante en minerais critiques nécessaires à la transition énergétique verte.
Cette nouvelle enquête, menée par l’ONG britannique RAID et le Centre d’Aide Juridico-Judiciaire (CAJJ) basé à Kolwezi, s’appuie sur des entretiens avec plus de 30 travailleurs dans six grandes mines. Elle fait suite à une recherche approfondie menée en 2021 qui avait déjà dénoncé l’exploitation généralisée des travailleurs congolais.
L’enquête actualisée met en lumière des abus persistants des droits des travailleurs, notamment pour les travailleurs en sous-traitance qui constituent la majorité de la main-d’œuvre, y compris :
- Des salaires bien en dessous du salaire décent de Kolwezi, ne permettant pas de subvenir aux besoins alimentaires ou éducatifs des enfants ;
- Des conditions de travail dangereuses et des soins de santé inadéquats, avec des cas d’exposition à des substances toxiques et de refus de traitement après des accidents ;
- Des horaires épuisants avec des rotations de 30 jours consécutifs ;
- La répression syndicale et la discrimination, notamment des abus sexuels, du racisme et des représailles envers les travailleurs tentant de s’organiser.
Les entreprises minières citées dans l’étude sont : Kamoto Copper Company (KCC) de Glencore, Metalkol RTR du groupe Eurasian Resources, Tenke Fungurume Mining (TFM) de China Molybdenum, la mine Somidez de China Nonferrous Metal Mining, la mine COMMUS du groupe Zijin, et Sicomines, coentreprise entre Gécamines et un consortium d’investisseurs chinois.
Un travailleur impliqué dans le traitement du minerai a déclaré : « Chaque semaine je crache du sang », ajoutant que cela lui avait été présenté comme « normal ». Un autre a déclaré : « Ils nous obligent à faire des travaux dangereux, et si on refuse, on est puni. En cas d’accident, on nous fait pression pour ne pas en parler. »
Beaucoup de travailleurs en sous-traitance ont exprimé leur désespoir, pris au piège dans des conditions d’exploitation sans autre option d’emploi. « Ici, on dit que s’il n’y a pas d’arbre pour s’accrocher, on attrape le serpent », a témoigné un ouvrier.
« La demande mondiale pour les minerais du Congo explose, tout comme les profits des entreprises », a déclaré Anneke Van Woudenberg, directrice exécutive de RAID. « Il n’y a aucune excuse pour que les travailleurs congolais vivent dans la pauvreté ou crachent du sang dans des mines dangereuses. Payer un salaire décent et respecter les droits fondamentaux n’est pas de la charité – c’est un test pour savoir si la transition énergétique sera juste et équitable. »
Pour fixer une référence réaliste en matière de rémunération équitable dans le secteur minier industriel, RAID et CAJJ ont publié aujourd’hui leur calcul actualisé du salaire décent à Kolwezi. Pour 2025, ce salaire a été établi à 520 $ par mois, en hausse par rapport à l’année précédente.
Ce calcul est basé sur la méthode du « Minimum Expenditure Basket », estimant le coût mensuel des biens et services essentiels pour un ménage type de deux adultes et quatre enfants à Kolwezi, à partir de données collectées localement.
« Il n’y a aucune excuse pour que les travailleurs congolais vivent dans la pauvreté ou crachent du sang dans des mines dangereuses. Payer un salaire décent et respecter les droits fondamentaux n’est pas de la charité – c’est un test pour savoir si la transition énergétique sera juste et équitable. »
De nombreuses entreprises minières industrielles mettent en avant leur conformité avec la législation congolaise – qui exige un salaire minimum national – mais celui-ci reste bien en dessous du niveau nécessaire pour couvrir les besoins de base.
Début 2025, le gouvernement a doublé le salaire minimum national pour la première fois depuis 2018, le portant à 14 500 francs congolais par jour (environ 5 USD), soit environ 130 USD par mois pour un emploi à temps plein. Bien que cette augmentation ait été nécessaire, même le président Félix Tshisekedi a reconnu qu’elle restait insuffisante.
RAID et CAJJ insistent pour que ce seuil légal ne soit pas utilisé comme référence par les entreprises minières multinationales. Aucune mine industrielle ne s’est engagée à verser le salaire décent de Kolwezi à l’ensemble de ses employés, qu’ils soient directement employés ou en sous-traitance, maintenant ainsi la majorité des travailleurs bien en dessous du seuil de pauvreté.
« Il est évident que le salaire minimum en RDC est un salaire de pauvreté », a déclaré Josué Kashal du CAJJ. « L’absence d’engagement des entreprises à verser un salaire décent remet en question leurs priorités et leur respect de la dignité humaine des travailleurs congolais. »
Le salaire décent de Kolwezi

Ce nouveau rapport et le calcul mis à jour du salaire décent interviennent alors que les droits des travailleurs en RDC font l’objet d’un examen accru à l’échelle internationale. En 2024, le gouvernement américain a ajouté le cobalt industriel de la RDC à sa liste de biens associés au travail forcé – une désignation qui impacte les chaînes d’approvisionnement mondiales et souligne l’urgence d’une réforme.
Certaines améliorations ont été observées depuis le rapport de 2021, notamment de nouveaux accords collectifs dans deux mines exploitées par des entreprises chinoises, des audits sociaux ayant entraîné la rupture de contrats avec des sous-traitants abusifs, et l’augmentation du nombre d’inspecteurs du travail à Kolwezi. Néanmoins, les conditions des travailleurs en sous-traitance restent extrêmement difficiles.
RAID et CAJJ appellent les dirigeants miniers et responsables politiques présents à la DRC Mining Week à s’engager publiquement à verser le salaire décent de Kolwezi à tous les travailleurs, y compris ceux en sous-traitance, et à mettre fin aux abus commis par les entreprises de sous-traitance sur leurs sites miniers.
Alors que le monde abandonne les énergies fossiles, la ruée vers les minerais critiques ( cuivre, cobalt, etc. ) pour les véhicules électriques, les centres de données IA ou autres technologies ne doit pas se faire au détriment des travailleurs congolais, soulignent les ONG.


Statues représentant des mineurs dans le centre de Kolwezi, RDC ©2025 RAID
Briefing Paper
Regards critiques sur les droits des travailleurs : mise à jour sur les conditions de travail dans les mines industrielles de RDC
En janvier et février 2025, RAID et le CAJJ ont mené une enquête de suivi sur les conditions de travail dans certaines des plus grandes mines industrielles de cuivre et de cobalt en République démocratique du Congo. Cette nouvelle recherche s’appuie sur notre précédent rapport La route de la ruine ? publié en 2021 qui avait révélé des violations généralisées des droits du travail, des environnements de travail dangereux ainsi que de fortes disparités entre les travailleurs employés directement et ceux en sous-traitance.
Quatre ans plus tard, nos constats montrent que les violations des droits des travailleurs persistent de manière préoccupante. Si certains employés directs ont vu une légère progression de leurs conditions de travail – grâce notamment à des conventions collectives ayant permis une augmentation des salaires et une amélioration sur le plan social – les travailleurs sous-traités continuent de subir des conditions d’exploitation. Celles-ci incluent des environnements dangereux, des salaires abusivement bas, des horaires excessifs, une couverture médicale insuffisante voire inexistante, la répression des activités syndicales, des discriminations et même des mauvais traitements physiques.
Malgré trois années de rapports de RAID et du CAJJ sur le calcul d’un salaire décent à Kolwezi, soit le strict minimum nécessaire pour permettre aux travailleurs de vivre dans la dignité, aucune mine industrielle ne s’est engagée à le verser à l’ensemble de ses travailleurs, qu’ils soient employés directement ou via des sous-traitants. Le fait que le salaire décent ne soit toujours pas considéré comme la base de rémunération soulève de graves préoccupations quant aux priorités de l’industrie et à son respect de la dignité humaine des travailleurs. Avec un salaire décent estimé à 520$ par mois en 2025, des milliers de travailleurs du cuivre et du cobalt vivent toujours sous le seuil de pauvreté.
De nombreux abus documentés enfreignent à la fois le droit du travail congolais et les normes internationales – standards que les entreprises minières prétendent pourtant respecter. Or, dans l’ensemble du secteur, l’application de la loi reste faible et la responsabilisation quasi inexistante.
Cette note met en lumière les violations les plus urgentes.
Méthodologie de recherche
Afin de mettre à jour les conclusions de 2021 sur les atteintes aux droits du travail et d’évaluer les évolutions survenues depuis, RAID et le CAJJ ont mené une nouvelle enquête de terrain à Kolwezi et Fungurume entre janvier et février 2025.
L’équipe a interrogé plus de 30 travailleurs dans six mines industrielles de cobalt et de cuivre exploitées ou détenues par des entreprises minières multinationales. Ensemble, ces sites miniers ont produit plus de la moitié de l’approvisionnement mondial en cobalt en 2023. Il s’agit de : (i) Kamoto Copper Company (KCC) de Glencore, (ii) Metalkol RTR du groupe Eurasian Resources, (iii) Tenke Fungurume Mining (TFM) de China Molybdenum, (iv) la mine COMMUS du groupe Zijin Mining, (v) la Société minière de Deziwa (Somidez) de China Nonferrous Metal Mining Company (CNMC), et (vi) Sicomines, une coentreprise (joint-venture) entre la Gécamines et un consortium d’entreprises et d’investisseurs chinois.
Si les expériences rapportées varient d’un site à l’autre et que toutes les violations n’ont pas été constatées sur l’ensemble des sites, l’enquête a mis en évidence une tendance généralisée de violations persistantes des droits des travailleurs dans l’ensemble du secteur, en particulier pour les salariés en sous-traitance. L’équipe a également rencontré des inspecteurs du travail, des juges des juridictions civiles et prud’homales, des responsables syndicaux, des avocats ainsi que du personnel médical.
Un système d’emploi à double standard
Au cœur de nombreuses violations des droits du travail dans le secteur minier industriel en RDC se trouve le recours généralisé aux travailleurs en sous-traitance – un modèle d’externalisation selon lequel les travailleurs ne sont pas embauchés directement par les exploitations minières, mais plutôt via des entreprises sous-traitantes. Les ouvriers des mines, chauffeurs, agents d’entretien, cuisiniers, ouvriers du bâtiment et agents de sécurité, entre autres, sont fréquemment recrutés par des agences d’intérim ou des prestataires externes, au lieu d’être directement employés.
Il en résulte un système d’emploi à double standard, dans lequel des travailleurs directement embauchés et ceux en sous-traitance effectuent souvent les mêmes tâches, mais dans des conditions radicalement différentes. Les travailleurs en sous-traitance perçoivent des salaires inférieurs, bénéficient peu ou pas d’avantages sociaux et évoluent dans une insécurité professionnelle constante.
En 2024, le Bureau de l’emploi de la Province du Lualaba a rapporté que 424 544 personnes travaillaient dans les sites miniers industriels de la Province, qu’elles soient directement ou indirectement embauchées. Les recherches menées par RAID et le CAJJ en 2021 avaient révélé que la majorité des travailleurs – au moins 57 %, et jusqu’à près de 70 % dans certaines exploitations – étaient employés via des sous-traitantes. Les experts consultés confirment que cette dépendance massive à la main-d’œuvre en sous-traitance reste une pratique répandue dans tout le secteur.
De nombreux travailleurs ont déclaré avoir été employés pendant plusieurs années sur un même site minier, transférés d’un sous-traitant à un autre, sans jamais obtenir de contrat direct à temps plein. Ce système ne se traduit pas seulement par des contrats précaires et des salaires nettement inférieurs, mais entraîne aussi une exclusion des droits sociaux tels que l’aide à la scolarisation des enfants, l’accès à des soins médicaux ou une assistance pour les frais d’obsèques d’un proche. Ce modèle d’externalisation prive ainsi la majorité des travailleurs congolais du secteur minier de salaires décents, d’avantages essentiels et de toute sécurité de l’emploi.
Un travailleur a résumé un sentiment largement partagé : « La différence de traitement entre nous et ceux qui sont embauchés directement… c’est le jour et la nuit. »
Comme nous l’avions déjà constaté en 2021, les travailleurs en sous-traitance continuent de subir des horaires excessifs, des conditions de travail dangereuses et des traitements dégradants – notamment des discriminations et des insultes à caractère raciste – ainsi qu’un accès limité, voire inexistant, aux soins de santé de base. De nombreux travailleurs interrogés en 2025 ont également signalé qu’ils ne recevaient aucun bulletin de salaire, ou alors des bulletins incomplets, et qu’ils n’avaient pas de contrat de travail ou se voyaient refuser une copie de celui-ci. Même postuler à un emploi a un coût : plusieurs personnes ont dénoncé le fait que du personnel des ressources humaines réclame de l’argent au moment du recrutement.
Si la sous-traitance offre aux entreprises minières une certaine flexibilité pour des travaux ponctuels ou saisonniers, elle semble, dans les faits, s’être imposée comme un modèle d’embauche de long terme dans les mines industrielles congolaises. Ce modèle ne semble pas relever du hasard. Des recherches antérieures ont montré que les entreprises y ont recours pour réduire leurs coûts salariaux et limiter leur responsabilité juridique. Le système de sous-traitance institutionnalise ainsi la précarité et les inégalités, tout en protégeant les multinationales de toute responsabilité envers la main-d’œuvre qui fait fonctionner leurs opérations.

L’absence de salaire décent
Malgré l’attention croissante portée aux violations des droits du travail, les entreprises minières n’ont pas agi sur un principe fondamental : garantir un salaire décent et des conditions de travail dignes pour l’ensemble des travailleurs, y compris ceux embauchés en sous-traitance. Ce manquement dépasse la responsabilité des seuls sites miniers congolais : les entreprises situées tout au long de la chaîne d’approvisionnement qui utilisent le cobalt et le cuivre de la RDC doivent également remplir leurs obligations et agir concrètement.
Les entreprises minières industrielles mettent en avant leur conformité à la législation congolaise, qui impose aux employeurs de verser au moins le salaire minimum légal, comme preuve suffisante de leur engagement. Pourtant, de nombreuses analyses ont montré que ce seuil est largement inférieur au minimum requis pour permettre un niveau de vie décent.
En début d’année 2025, le gouvernement a doublé ce salaire minimum – officiellement appelé Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) – pour la première fois depuis 2018. Il est passé de 7 075 francs congolais (environ 2,5$) à 14 500 francs congolais par jour (soit environ 5$). Cela équivaut à environ 377 000 francs congolais par mois, soit environ 150$ pour un travailleur à temps plein sur la base de 30 jours ouvrés (selon les taux de change de juin 2025).
Bien que cette augmentation constitue une avancée, même le président Félix Tshisekedi a reconnu, lors d’un discours devant son Conseil des ministres en avril 2025, que cela reste très en dessous du niveau nécessaire pour couvrir les besoins essentiels. En réalité, ce niveau de rémunération ne permet pas à la majorité des travailleurs de subvenir à leurs propres besoins ni à ceux de leur famille.
Les sous-traitants et les journaliers sont confrontés aux conditions les plus dures, recevant souvent les salaires les plus bas et peu ou pas d’avantages sociaux. Des militants locaux ont signalé que de nombreux travailleurs sous contrat de sous-traitance gagnent entre 120 et 150 dollars par mois. Lors des entretiens menés par RAID et le CAJJ, un travailleur a déclaré avoir travaillé comme journalier pendant sept mois pour un salaire de seulement 57$ par mois. Son revenu était si bas qu’il ne parvenait pas à subvenir à ses besoins et ne pouvait envoyer aucun de ses huit enfants à l’école. Un autre travailleur, dont le salaire de base était de 235$ par mois, atteignant environ 400$ avec les heures supplémentaires et les avantages, a expliqué que cela ne suffisait toujours pas à couvrir les dépenses essentielles telles que la nourriture, le loyer et les frais de scolarité. Il a dû faire le choix difficile de n’envoyer que deux de ses enfants à l’école, les autres restant à la maison faute de moyens.
Même si le gouvernement congolais peut avoir besoin de maintenir un salaire plancher bas pour maîtriser les rémunérations dans le secteur public, le salaire minimum légal ne doit pas être confondu avec un seuil de rémunération équitable. Dans un contexte de pénurie chronique d’emplois, verser le salaire minimum tout en sachant qu’il entretient la pauvreté a des conséquences : cela perpétue les difficultés et prive les travailleurs de toute autonomie économique. La vérité dérangeante est que même le nouveau salaire minimum reste très en dessous d’un revenu permettant de vivre décemment. L’État congolais comme les entreprises minières multinationales opérant en RDC en sont pleinement conscients.
« Ici, on dit que s’il n’y a pas d’arbre pour s’accrocher, tu attrapes le serpent»
Pour établir une référence plus réaliste pour les employeurs du secteur minier industriel, RAID et le CAJJ ont, pour la quatrième année consécutive, calculé le montant d’un salaire décent à Kolwezi. En utilisant la méthode du panier de dépenses minimales (Minimum Expenditure Basket), également utilisée par les Nations unies en RDC, nous avons estimé le revenu mensuel minimum nécessaire pour couvrir les besoins essentiels : alimentation, logement, santé, éducation et autres coûts domestiques. Pour 2025, le salaire décent à Kolwezi s’élève à 520$ par mois, soit environ 20$ par jour. Les données détaillées et la méthodologie de ce calcul sont disponibles ici. Il s’agit du seuil d’une vie décente, qui permet aux travailleurs, ainsi qu’à leur conjoint et à leurs enfants, de sortir de la pauvreté.
Beaucoup de travailleurs en sous-traitance gagnent bien en dessous de ce seuil. Ils disent se sentir comme des citoyens de seconde zone : moins payés et exclus des avantages accordés aux employés directs. Le logement reste insuffisant et beaucoup ont du mal à se payer le transport, la nourriture ou les soins de santé, et encore moins à offrir une éducation à leurs enfants. Il en résulte un système dans lequel les salaires sont techniquement légaux mais structurellement injustes et perpétuent la pauvreté.
Certains travailleurs ont parlé de leur désespoir, piégés dans des conditions d’exploitation sans autre option d’emploi. « Ici, on dit que s’il n’y a pas d’arbre pour s’accrocher, tu attrapes le serpent», a confié un travailleur.
Les entreprises qui prétendent soutenir le développement économique en RDC ne peuvent ignorer que le salaire minimum creuse la pauvreté. Un véritable engagement pour l’équité passe par le versement d’un salaire décent, pas seulement par le respect du minimum légal. C’est d’autant plus crucial dans le secteur du cuivre et du cobalt, au cœur de l’économie congolaise. Ces deux minerais ne sont pas seulement les principales exportations du pays, ils sont essentiels à la transition énergétique mondiale. Or, cette transition ne peut reposer sur l’exploitation d’une main-d’œuvre sous-payée.
Sécurité et couverture santé inadéquates
La législation congolaise oblige les employeurs à prendre en charge les frais de santé des travailleurs sous contrat à durée indéterminée ou déterminée, ainsi que ceux des personnes à leur charge. L’accès aux soins constitue un avantage majeur du travail à temps plein et les travailleurs congolais y accordent une grande importance. Pourtant, l’accès aux soins reste profondément inégal. Si les employés directs interrogés ont généralement fait état d’une couverture satisfaisante, les travailleurs en sous-traitance font souvent face à des soins médiocres voire à une absence totale de prise en charge.
Dans certains cas, la couverture santé est plafonnée à seulement 10$ par mois et par travailleur, un montant bien trop faible pour permettre aux cliniques d’offrir des soins de qualité. Les travailleurs dont les employeurs ne versent qu’une contribution minimale disent se sentir négligés dans les centres de santé. Plusieurs personnes interrogées ont déclaré que, dès qu’elles présentaient leur carte d’affiliation, on leur administrait des médicaments de moindre qualité ou on les traitait de façon visiblement inférieure par rapport à d’autres patients dont les employeurs payaient davantage.
Un travailleur a témoigné : « Il y a certaines maladies qu’on ne peut pas déclarer. Par exemple, on ne peut pas se plaindre d’une infection, car l’entreprise serait mise en cause. Il y a une sorte d’accord entre l’hôpital et l’entreprise. »
Certains travailleurs ont affirmé qu’ils préféraient payer leurs médicaments eux-mêmes plutôt que de se rendre à la clinique désignée.
Une couverture santé aussi faible, qui prive de fait les travailleurs d’un accès aux soins médicaux appropriés, semble être en violation du droit du travail congolais.

Un travailleur montrant la brûlure chimique qu’il a subie à la jambe pendant son service dans une mine industrielle ©2025 RAID
Le défaut d’accès à des soins de santé adéquats est également lié à des violations importantes des règles de sécurité sur les sites miniers, exposant les travailleurs à des risques accrus d’accidents. Des travailleurs employés par des sous-traitants ont déclaré ne pas recevoir d’équipement de protection individuelle, ou alors du matériel de mauvaise qualité, usé, ou non remplacé selon les recommandations, les laissant avec des équipements déchirés ou dégradés. Certains ont expliqué avoir dû acheter eux-mêmes leur équipement de sécurité ou le partager avec des collègues pour tenter de se protéger.
Un travailleur a raconté que, bien que les superviseurs appliquent strictement le règlement en menaçant de licenciement en cas d’infraction, ils ne garantissent pas la disponibilité des équipements de base. Comme l’a résumé un interviewé : « Si vous n’avez pas respecté une règle, on vous met dehors. Cependant, les agents ferment les yeux sur la règle des tenues car ils savent qu’ils ne nous les donnent pas. »
D’autres ont parlé de situations extrêmement dangereuses, comme devoir grimper sur des échafaudages sans harnais de sécurité ou être exposés à des substances toxiques, sans pouvoir se plaindre par peur de perdre leur emploi.
Un travailleur a déclaré : « Ils nous forcent à faire des tâches dangereuses, et si vous refusez, vous êtes sanctionné. S’il y a des accidents du travail, ils nous mettent un peu de pression [pour ne pas le signaler]. »
Plusieurs travailleurs manipulant des substances toxiques ont signalé des défaillances graves en matière de santé et sécurité, notamment des fuites de produits chimiques et l’absence d’équipement de protection. Un travailleur a décrit avoir souffert de brûlures à la jambe après qu’une substance toxique se soit renversée sur lui alors qu’il travaillait sans équipement adapté. « Je suis allé à l’hôpital et j’ai cherché des soins auprès d’un autre médecin. J’ai quand même continué à travailler. » Malgré ses blessures, il ne s’est pas senti capable d’arrêter de travailler par peur de perdre son emploi. Il a critiqué l’incapacité de l’entreprise à respecter ses propres règles de sécurité : « On nous donne un ensemble de règles qu’eux-mêmes ne sont pas en mesure de respecter. »
« On nous donne un ensemble de règles qu’eux-mêmes ne sont pas en mesure de respecter. »
Un travailleur affecté au traitement du minerai a déclaré que lui et d’autres étaient régulièrement exposés à des substances toxiques : « Chaque semaine, je crache du sang, » a-t-il dit. « On me dit que c’est normal. » Un autre travailleur, employé au processus de lixiviation, a décrit des fuites régulières d’acide sulfurique : « Ça brûle le nez, ça peut même t’étouffer, et tu peux saigner du nez. »
Un autre a raconté avoir vu un collègue « aspergé d’acide » pendant le travail. Lorsque le travailleur blessé a demandé des soins, il a été pointé comme absent et on lui a retiré trois jours de salaire pour avoir soigné ses blessures. Un autre a raconté avoir vu un collègue « aspergé d’acide » pendant son travail. Lorsque ce dernier a cherché à se faire soigner, il a été pointé comme absent et trois jours de salaire lui ont été retirés pour avoir pris le temps de soigner ses blessures.
Des travailleurs ont également exprimé des inquiétudes concernant la radiation et l’exposition à l’uranium. En RDC, l’uranium est souvent présent naturellement dans les mêmes roches que le cuivre et le cobalt. Un travailleur d’un site minier a déclaré : « J’ai quitté [une entreprise sous-traitante] à cause de ma santé personnelle. Il y a des radiations partout dans les mines, on a du sang dans le nez et les travailleurs sont exposés à la poussière et à la fumée riche en uranium, même si on porte un masque. »
En avril 2024, le gouvernement congolais a suspendu les activités minières sur le site de la mine COMMUS, en raison de niveaux élevés de radiation détectés dans un lot de cobalt. La suspension a été levée en mai 2024, à condition que COMMUS s’assure que le niveau de radiation de ses produits respecte les normes nationales et internationales.
Lors des entretiens menés par RAID et le CAJJ, des travailleurs ont aussi accusé des membres du personnel de contourner délibérément les procédures officielles afin de minimiser ou dissimuler des accidents du travail. Un travailleur a déclaré : « [Lorsqu’] il y a un accident du travail, il n’y a pas de transport, il n’y a pas d’ambulance. (…) On nous récupère et on nous dépose au niveau de la barrière [de la mine]. On cherche alors un autre moyen de transport. [L’entreprise] préfère payer en dehors de l’usine. Je crois par mauvaise foi. Nous nous sommes plaints plusieurs fois. Ils nous disent qu’ils ne préfèrent pas dépenser. »

La ville minière de Kolwezi, RDC ©2025 RAID
Entraves à la liberté syndicale
Le rapport publié par RAID et le CAJJ en 2021 révélait que certaines entreprises minières cherchaient à affaiblir la liberté d’association en recourant à des tactiques telles que la rotation de travailleurs entre des contrats de courte durée pour empêcher la syndicalisation, l’intimidation des dirigeants syndicaux et des représailles contre les travailleurs tentant de s’organiser, compromettant ainsi les efforts de négociation collective.
En 2025, les droits syndicaux restent fragiles et appliqués de manière inégale. Des travailleurs ont rapporté certaines améliorations, comme la mise en place de nouvelles conventions collectives ou une présence syndicale plus active après des élections internes. Toutefois, beaucoup demeurent sceptiques en raison de l’ingérence persistante des employeurs et de pratiques répressives. Dans plusieurs cas, des travailleurs ont indiqué que des entreprises chinoises désignaient elles-mêmes les représentants syndicaux ou prenaient des mesures de rétorsion contre des membres actifs, allant jusqu’à prononcer des suspensions ou des licenciements. Un travailleur a dit : « Parfois, si tu essaies de passer par la voie syndicale, tu peux finir par perdre ton emploi. » Un autre a rapporté avoir été exclu d’un syndicat en raison de son engagement militant.
Bien que certains syndicats indépendants aient vu le jour et revendiqué de meilleures conditions – comme une meilleure prise en charge des frais scolaires ou funéraires – des travailleurs ont affirmé que l’influence syndicale peut être affaiblie par la corruption et l’absence d’application des décisions.
Les travailleurs ont également exprimé leur frustration vis-à-vis des canaux officiels de réclamation. Un travailleur a déclaré : « On peut aller les voir, mais on évite. Ils connaissent les chefs. On est allés les voir vingt fois au sujet de nos salaires. À quoi bon ? On accepte les conditions [auxquelles] ils nous soumettent. » Un autre a ajouté : « Parfois, ils écoutent, mais rien ne change. » Un autre nous a confié « « Nous sommes épuisés par la situation, mais on n’a pas le choix. »
Discrimination, violence et abus sexuel
La discrimination et les comportements culturellement irrespectueux persistent dans l’ensemble des sites miniers de la RDC, alimentant la frustration et le découragement des travailleurs congolais. Ces derniers observent depuis longtemps qu’un traitement préférentiel est accordé aux expatriés, quelle que soit leur nationalité. Il s’agit d’une pratique enracinée de longue date dans le secteur minier.
Les travailleurs rapportent des altercations violentes fréquentes et des relations tendues avec leurs responsables étrangers. Comme l’a dit l’un d’eux : « On sait qu’il y a de la discrimination et beaucoup de violence. » Dans une mine opérée par une entreprise chinoise, des travailleurs congolais ont affirmé avoir été giflés et insultés. Ils ont expliqué avoir été injuriés et humiliés physiquement par des superviseurs étrangers, qui, selon eux, « deviennent facilement violents ». Un ouvrier du bâtiment, employé via un sous-traitant, a déclaré : « Si tu n’es pas apte, ils donnent des coups, et le pire c’est que le contrat [de travail], s’arrête. Pour garder notre contrat, on accepte tout. »
Dans une autre mine, un interviewé a raconté les difficultés rencontrées avec un responsable arabe dans une entreprise exploitée par une entreprise européenne : « Je dois démissionner car je suis souffrant. J’ai demandé au chef de signer le bon pour aller à l’hôpital. Il a refusé. Le chef d’équipe est venu et a répondu : “s’il doit mourir, qu’il meure.” J’ai pleuré en rentrant à la maison. J’ai six enfants, je ne peux pas travailler dans ces conditions. J’ai donc demandé mon transfert. On nous amène que des expatriés. Nous sommes dans un pays du tiers-monde, donc nous Congolais, nous n’osons pas parler. (…) Ils [les responsables étrangers] ne connaissent rien sauf la pression. Ils n’ont aucune connaissance technique. (…) On entend des insultes en arabe, mais on comprend [même si on ne parle pas cette langue]. »
Le chef d’équipe est venu et a répondu : “s’il doit mourir, qu’il meure.” J’ai pleuré en rentrant à la maison. J’ai six enfants, je ne peux pas travailler dans ces conditions.
Bien que des cas de discrimination et de comportements culturellement irrespectueux aient été observés dans l’ensemble du secteur minier industriel – y compris, parfois, entre travailleurs congolais eux-mêmes – les personnes travaillant dans des mines opérées par des entreprises chinoises ont rapporté un nombre de plaintes disproportionnellement plus élevé. Ce constat s’inscrit dans le contexte de l’expansion importante des investissements et des activités chinoises dans le secteur minier congolais au cours des deux dernières décennies. Bien que certains expatriés chinois aient également rapporté des actes d’hostilité, de harcèlement ou d’agression de la part de Congolais, la grande majorité des abus signalés concernent des actes perpétrés contre des travailleurs congolais.
Lors des entretiens menés par RAID et le CAJJ en 2021 et en 2025, des travailleurs congolais ont à plusieurs reprises décrit des actes de discrimination, et dans certains cas, des mauvais traitements physiques, comme faisant partie du quotidien sur plusieurs sites opérés par des entreprises chinoises. Un travailleur a raconté qu’on lui demandait de ramasser les déchets jetés par ses superviseurs chinois, une scène qui résume, selon lui, les humiliations quotidiennes vécues par le personnel congolais : « La poubelle est proche d’eux mais ils jettent par terre. Ils disent aux Congolais d’aller jeter leur verre pour eux. Généralement il n’y a pas de sanction. Nos supérieurs congolais ont toujours tendance à donner raison au chinois. » Dans un autre site, un travailleur a raconté cet incident : « Je suis chauffeur. Nous avons un véhicule que je partage avec un Chinois. Quand je lui donne les clés, il les prend du bout des doigts et les désinfecte. Il désinfecte aussi tout ce que j’ai touché dans la voiture. »
« La poubelle est proche d’eux mais ils jettent par terre. Ils disent aux Congolais d’aller jeter leur verre pour eux. Généralement il n’y a pas de sanction. Nos supérieurs congolais ont toujours tendance à donner raison au chinois. »
Les travailleurs ont signalé que les installations comme les toilettes et les réfectoires demeurent séparées pour les expatriés et les travailleurs locaux dans plusieurs mines, avec des conditions visiblement inférieures pour les travailleurs congolais. Ils se sont également plaints de la qualité de la nourriture. Un travailleur a déclaré que les employés n’ont ni la même nourriture que leurs superviseurs chinois, ni un accès suffisant à l’eau : « Parfois, ils nous donnent des produits périmés. » Il a ajouté : « L’eau, c’est un gros problème… Certains jours, on n’a pas d’eau. » Un collègue a ajouté : « On nous sert de la nourriture avariée. Il nous arrive de vomir et d’avoir la diarrhée. »
Un travailleur dans une autre mine également opérée par une entreprise chinoise a décrit des problèmes similaires, affirmant que la qualité de la nourriture servie aux travailleurs congolais est très différente de celle des travailleurs expatriés.
Les travailleurs ont également dénoncé l’absence d’un espace adéquat pour prendre leurs repas0: « Il n’y a pas de réfectoire. Normalement il en faudrait un pour [chaque] usine. Mais là-bas, un véhicule passe à chaque poste pour distribuer la nourriture. Je mange à mon bureau et certains dans des containers. Ils donnent une bouteille d’eau pour tout le monde mais les Chinois (les travailleurs) eux ont une bouteille plus grande. » Un autre travailleur de la même mine a expliqué : « Nous nous de la qualité de l’eau. L’eau des Chinois est propre, alors que notre eau est tirée du sol. Parfois, on apporte notre eau. »
Deux hommes interrogés ont aussi rapporté des comportements sexuels déplacés de la part de travailleurs chinois, comme des attouchements : « Ils ont un jeu quand ils sont contents, c’est de vous toucher le ventre et [les parties génitales], et nous dire que c’est gros. Quand on le rejette (le travailleur chinois), il nous considère comme un ennemi. » L’un des travailleurs a précisé qu’il s’était plaint, mais qu’aucune mesure n’avait été prise. Il craint maintenant de perdre son emploi car il a été inscrit sur une « liste rouge ».
Horaires excessifs et repos insuffisant
Des rythmes de travail exténuants continuent d’être imposés sur l’ensemble des sites miniers étudiés dans le cadre de notre enquête. De nombreux travailleurs en sous-traitance interrogés ont déclaré travailler jusqu’à 30 jours consécutifs, y compris de nuit, sans véritable repos, et subir des rotations de postes particulièrement éprouvantes. Un travailleur, qui disait gagner 550$ par mois, a décrit avoir enduré de telles conditions pendant six mois. La durée des journées de travail dépasse souvent 12 heures : dans deux des mines examinées, des employés ont affirmé travailler de 5h à 19h, soit 14 heures de suite. Cela représente une violation flagrante de la limite maximale de 8 heures de travail par jour fixée par l’article 119 du code du travail congolais.
Les travailleurs ont indiqué que les pauses ne sont pas respectées ou sont laissées à la discrétion des collègues. L’un d’eux a expliqué qu’il ne parvient à manger qu’en s’arrangeant avec un autre travailleur pour se relayer à son poste : « Nous n’avons pas de pause car nous sommes à la production. » Les longs trajets domicile-travail réduisent encore davantage les heures de repos ; certains travailleurs endurent des journées de 16 heures. Plusieurs doivent attendre une heure après la fin de leur service pour prendre le transport fourni par l’entreprise. Les travailleurs ne sont pas payés pour ce temps imposé.
« Je suis malade, mais mon supérieur refuse de me permettre de me soigner. Les syndicats m’ignorent. Qu’est-ce qu’on attend ? Est-ce qu’on attend la mort ? Et si je meurs, qui paye pour mes enfants et qui les assurera ? »
Cette pression physique entraîne une fatigue importante et accroît les risques d’accidents, notamment dans les zones les plus dangereuses du site, où l’on utilise des machines lourdes : «(Dans) la production de cobalt, les chefs nous disent qu’il faut que l’on réalise 100 tonnes, donc même si le shift est fini, vous devez continuer. Si vous refusez, vous avez des problèmes. Je suis fatigué, mais je ne peux pas démissionner » Un autre travailleur a exprimé son désespoir : « Je suis malade, mais mon supérieur refuse de me permettre de me soigner. Les syndicats m’ignorent. Qu’est-ce qu’on attend ? Est-ce qu’on attend la mort ? Et si je meurs, qui paye pour mes enfants et qui les assurera ? » Malgré les promesses d’amélioration dans les conventions collectives, de nombreux travailleurs estiment que les changements concrets sur les horaires et les périodes de repos ne sont toujours pas appliqués.
Les travailleurs se plaignent aussi de ne pas avoir de congés payés. Un interviewé a indiqué : « On a le droit à quatre jours de repos et [l’entreprise] retranche sur le salaire. Ça coûte environ 150$.» Des expériences similaires nous ont été rapportées sur l’ensemble des sites étudiés.

Quelques signes de progrès
Même si les problèmes liés aux droits du travail dans le secteur minier congolais restent importants, l’équipe a identifié plusieurs signes encourageants de progrès pour les travailleurs. Notamment, des syndicats ont été mis en place dans deux grandes mines opérées par des entreprises chinoises, SOMIDEZ et Sicomines, à la suite d’une combinaison d’actions en justice et de mobilisations collectives soutenues par les travailleurs. Ces avancées ont conduit à la signature de deux conventions collectives entre les opérateurs miniers et les travailleurs employés directement.
Ces progrès sont en partie le résultat de requêtes juridiques déposées par les avocats du CAJJ, qui ont conduit le tribunal local à ordonner à l’Inspection du travail d’enquêter sur des violations présumées du code du travail dans ces deux mines. Lorsque l’Inspection a confirmé en avril 2022 et en mai 2023 que des élections syndicales n’avaient eu lieu dans aucune des deux entreprises, en infraction avec la législation congolaise, le tribunal a exigé des entreprises qu’elles prennent des mesures correctives. Cela a ouvert la voie à une organisation syndicale des travailleurs.
C’est cependant la mobilisation menée par les travailleurs eux-mêmes, nourrie par la frustration et l’exigence persistante de changement, qui s’est révélée décisive. À Sicomines, des avancées importantes ont été obtenues après une grève d’une semaine en novembre 2023. Les travailleurs employés directement ont signé une convention collective en janvier 2025, incluant une prime assimilée à un « treizième mois », une augmentation des salaires, une aide financière pour les funérailles, ainsi que d’autres droits. À SOMIDEZ, une mobilisation a eu lieu à la mi-mars 2025, réclamant le paiement des salaires et la conclusion d’une convention collective. Les négociations sont toujours en cours au moment de la rédaction du présent rapport et doivent aboutir d’ici fin juin 2025.
Dans d’autres mines industrielles, certains travailleurs employés directement ont également signalé de légères augmentations salariales et une amélioration des prestations, notamment des allocations scolaires élargies pour les personnes à charge.
À la suite de notre premier rapport, au moins deux mines industrielles de grande échelle ont procédé à l’audits de leurs sous-traitants – parfois en réponse à des demandes de clients en aval, tels que des raffineurs ou des entreprises de véhicules électriques préoccupés par l’exploitation des travailleurs. Ces audits ont conduit à la résiliation de certains contrats lorsque des violations du droit du travail congolais ont été constatées.
Les travailleurs ont également signalé de petits changements concrets dans leur quotidien, mais jugés significatifs. Par exemple, la signalisation sur certaines machines – auparavant uniquement en mandarin – a été traduite en français sur plusieurs sites, améliorant ainsi la sécurité et la prise en main des équipements. Bien qu’il soit surprenant qu’une telle mesure n’ait pas été mise en place plus tôt, ce changement constitue une avancée positive.
Le gouvernement congolais a également entrepris des actions. Depuis la publication de notre premier rapport, l’Inspection du travail a renforcé ses effectifs et ses capacités. Alors qu’il n’y avait que deux inspecteurs dans la zone minière de Kolwezi en 2021, on en compte aujourd’hui 40, ainsi que 8 contrôleurs.
En dépit de ces progrès, les travailleurs en sous-traitance continuent de subir des conditions extrêmement difficiles.
Utilisations du cobalt en 2021

Inscription par les États-Unis du cobalt industriel congolais sur la liste des biens issus du travail forcé
Depuis la publication du rapport La Route de la ruine ? de RAID et du CAJJ en 2021, un changement majeur de politique aux États-Unis a entraîné un examen plus rigoureux des conditions de travail dans les mines industrielles de cobalt en RDC, notamment pour les travailleurs en sous-traitance. En septembre 2024, le Département du travail des États-Unis a ajouté le cobalt extrait des mines industrielles congolaises à sa « Liste des biens produits par le travail des enfants ou le travail forcé ». Cette mise à jour élargit une désignation antérieure qui ne visait que le cobalt issu de l’exploitation artisanale. Elle confirme que des risques de travail forcé existent également dans les exploitations industrielles à grande échelle – en particulier en lien avec le recours généralisé à la sous-traitance.
Les autorités américaines ont cité des éléments probants de plus en plus documentés, notamment le rapport de RAID et du CAJJ et d’autres enquêtes, soulignant que les pratiques de sous-traitance dans les mines industrielles contribuent à des conditions de travail abusives. Cette décision du gouvernement américain reflète une reconnaissance internationale croissante selon laquelle les atteintes aux droits du travail et aux droits humains ne se limitent pas à l’exploitation artisanale, mais sont également enracinées dans les chaînes d’approvisionnement industrielles du cobalt et du cuivre, qui alimentent la transition énergétique mondiale.
Cette désignation a des implications importantes pour l’entrée du cobalt sur le territoire américain, notamment pour les véhicules électriques, les batteries rechargeables et tous les produits utilisant ce minerai. Elle oblige les entreprises américaines à démontrer que le cobalt utilisé dans leurs produits provient de sources responsables – exemptes de violations des droits du travail. L’ajout du cobalt industriel à cette liste constitue une mesure bienvenue et nécessaire pour renforcer la responsabilité et la vigilance face aux pratiques abusives dans le secteur minier industriel.
Conclusion
Des réformes urgentes et de grande envergure sont nécessaires pour garantir que tous les travailleurs congolais, quel que soit leur statut d’emploi, puissent bénéficier d’un travail sûr, équitable et digne. Le gouvernement congolais et les entreprises internationales doivent unir leurs efforts pour que la transition vers une énergie verte ne reproduise pas les schémas d’exploitation et d’inégalités de l’ère des énergies fossiles. Alors que le monde s’éloigne des sources d’énergie à forte intensité carbone, la course aux minéraux critiques – comme le cuivre et le cobalt utilisés dans les véhicules électriques, les centres de données pour l’intelligence artificielle et d’autres technologies – ne doit pas se faire au détriment de milliers de travailleurs congolais.

Recommendations
Pour les entreprises minières :
- Recrutez directement la majorité de votre main-d’œuvre congolaise et limitez le recours à la sous-traitance aux seuls besoins urgents ou temporaires.
- Versez un salaire décent conformément au calcul de 2025, et engagez-vous publiquement à rémunérer l’ensemble des travailleurs – qu’ils soient employés directement ou indirectement – à un niveau égal ou supérieur au salaire décent.
- Assurez un traitement équitable et non discriminatoire pour tous les travailleurs, y compris le personnel temporaire et journalier, avec un accès égal aux services, infrastructures et opportunités. Modifiez vos politiques internes si nécessaire. Intégrez la lutte contre la discrimination à votre engagement plus large en matière de conduite responsable en RDC.
- Identifiez les risques liés aux droits humains et à l’environnement. Assurez-vous que tous les travailleurs soient inclus à chaque étape du processus de vigilance en matière de droits humains. Veillez à ce qu’ils soient informés et associés aux évaluations de risques, à leur suivi et aux mécanismes de réclamation. Ne substituez pas votre propre vigilance par des audits sociaux réalisés par des tiers.
- Révisez les normes de santé et de sécurité sur les sites miniers, en garantissant que tous les travailleurs (y compris ceux en sous-traitance) disposent d’équipements de protection individuelle adéquats et reçoivent une formation régulière et approfondie.
- Respectez le droit de tous les travailleurs, y compris les travailleurs sous contrat temporaire ou en sous-traitance, de former et de rejoindre des syndicats indépendants. Abstenez-vous de toute forme d’ingérence, d’intimidation ou de représailles et assurez aux représentants syndicaux la liberté et les moyens nécessaires pour agir efficacement sur le lieu de travail.
Pour les entreprises en aval de la chaîne d’approvisionnement :
- Utilisez tout votre pouvoir d’influence pour inciter vos fournisseurs et opérateurs miniers en RDC à mettre fin à l’exploitation des travailleurs, à verser un salaire décent et à fournir des avantages sociaux. Prévoyez une clause de résiliation contractuelle en cas de violations des droits humains ou des normes environnementales.
- Cartographiez votre chaîne d’approvisionnement jusqu’aux mines de cobalt et rendez ces informations accessibles au public. Détaillez les mesures de vigilance mises en place pour garantir que vos fournisseurs ne contribuent pas à l’exploitation des travailleurs.
- Révisez immédiatement vos processus de vigilance afin d’aborder l’ensemble des problématiques liées aux droits des travailleurs, y compris celles soulevées dans le présent rapport, dans l’ensemble des opérations de vos fournisseurs, conformément aux normes internationales et locales. Si vos documents de vigilance présentent des lacunes, révisez-les en urgence et ajoutez ces problématiques à votre liste de risques.
- Appliquez des normes d’approvisionnement responsable qui prennent pleinement en compte les droits humains et les droits des travailleurs – et non uniquement le travail des enfants ou le travail forcé dans les mines artisanales. Exigez que les organismes de normalisation intègrent les droits du travail dans leurs dispositifs de contrôle et de certification.
- Pour les organismes de certification, élargissez la portée des mécanismes de certification pour inclure l’ensemble des enjeux liés aux droits du travail soulevés dans ce rapport et autres publications. Ces enjeux doivent être traités comme des indicateurs centraux dans les audits et processus de vérification, et non comme des préoccupations secondaires.
Pour le gouvernement congolais :
- Mettez en place une réglementation stricte accompagnée de sanctions efficaces à l’encontre des entreprises qui ne respectent pas leurs obligations.
- Encouragez l’allocation de financements et de ressources suffisants à l’Inspection du travail afin de renforcer la surveillance des entreprises minières et de leurs sous-traitants dans la région.
- Élaborez et mettre en œuvre des sessions de formation ou des ateliers à destination des entreprises du secteur minier, afin de sensibiliser aux normes culturelles locales, aux principes de non-discrimination et aux bonnes pratiques en matière de respect sur le lieu de travail. Ces initiatives doivent viser à prévenir les discriminations raciales et sexistes, et à favoriser un traitement plus équitable des travailleurs congolais par les entreprises étrangères. Le suivi de ces formations et de leur efficacité devrait être assuré par des visites régulières de l’Inspection du travail et une supervision active des autorités compétentes.