Un nouveau rapport révèle des conditions désastreuses, de la discrimination et des salaires extrêmement bas dans les mines industrielles de cobalt
Une nouvelle étude publiée aujourd’hui révèle des conditions de vie désastreuses, de la discrimination et des salaires extrêmement bas dans certaines des plus grandes mines industrielles de cobalt au monde exploitées par des sociétés minières multinationales en République démocratique du Congo. Le cobalt est considéré comme un minéral essentiel dans les batteries lithium-ion qui alimentent les véhicules électriques (VE). Plus de 70% du cobalt mondial est extrait au Congo.
La demande de cobalt devrait exploser dans les 30 prochaines années, alors que des engagements en faveur du zéro émission nette d’ici 2050 devraient être pris lors de la COP26 à Glasgow. L’accélération de la production de VE est cruciale pour la transition vers une économie à faible émission de carbone. Toutefois, elle semble liée à de graves violations du droit du travail, comme le révèle la nouvelle étude menée dans cinq mines industrielles qui extraient du cobalt au Congo : Kamoto Copper Company (KCC), Metalkol RTR, Tenke Fungurume Mining (TFM), Sino-congolaise des mines (Sicomines) et Société minière de Deziwa (Somidez).
Le rapport de 87 pages « La route de la ruine ? Les véhicules électriques et les violations des droits des travailleurs dans les mines industrielles de cobalt au Congo » met en lumière un système d’exploitation généralisée. Les travailleurs congolais interrogés dans le cadre de l’étude on dit recevoir des salaires très bas et être soumis à des heures de travail excessives, à des traitements dégradants, à de la violence, à de la discrimination, à du racisme, à des conditions de travail dangereuses et à un mépris flagrant des normes de santé de base.
Certains travailleurs ont raconté avoir reçu des coups de pied, des gifles, des coups de bâton, des insultes, avoir été injuriés et tirés par les oreilles. Certains travailleurs ont fait état de graves discriminations et d’abus dans les mines exploitées par des compagnies chinoises. Un travailleur a déclaré « Notre situation est pire qu’auparavant. Les Chinois viennent imposer leurs normes et leur culture. Ils ne traitent pas bien les Congolais. C’est une nouvelle colonisation. »
« Les affirmations de l’industrie minière selon lesquelles l’extraction à grande échelle de cobalt au Congo est “propre”, “durable” et “exempte de violations des droits humains” ne sont tout simplement pas à la hauteur de la réalité. Les recherches de RAID et de CAJJ révèlent que le cobalt destiné aux batteries des véhicules électriques repose en grande partie sur un système de maind’œuvre bon marché et l’exploitation de milliers de travailleurs congolais. » Anneke Van Woudenberg, Directrice exécutive à RAID
Les violations du droit du travail sont directement liées à un modèle de sous-traitance selon lequel les travailleurs ne sont pas embauchés directement par les sociétés minières, mais indirectement via des entreprises sous-traitantes. Les chiffres officiels montrent qu’au moins 57% de la main-d’œuvre dans les cinq mines concernées par les recherches est fournie par des sous-traitants. Dans certaines mines, ce pourcentage était nettement plus élevé. Les employés et les responsables des entreprises de sous-traitance interrogés ont expliqué que, selon eux, les sociétés utilisent ce modèle comme une stratégie délibérée pour réduire leurs coûts, limiter leur responsabilité en matière de sécurité des travailleurs et éviter que les travailleurs n’adhèrent à des syndicats.
Les travailleurs embauchés par des sous-traitants gagnent des salaires extrêmement bas, souvent bien inférieurs au salaire de subsistance de 402 USD par mois, c’est-à-dire la rémunération minimale pour garantir un niveau de vie décent. Ils ne reçoivent pas de prestations des soins de santé, ou des prestations partielles, parfois à hauteur de 10 USD seulement par travailleur et par mois. Ceci est contraire au droit congolais qui oblige les employeurs à fournir des soins de santé gratuits aux travailleurs et à leur famille à charge.
De nombreux travailleurs ont exprimé leur désespoir de ne pas pouvoir se sortir de la pauvreté. Un travailleur a déclaré « Nous travaillions dur, sans aucune pause, pour 2,5 USD par jour. Si vous ne compreniez pas ce que le patron vous disait, il vous giflait. Si vous aviez un accident, ils vous mettaient à la porte. »
Les conclusions présentées dans le rapport d’étude s’appuient sur 130 entretiens et des recherches détaillées menées pendant 28 mois par l’organisme de surveillance des activités des sociétés basé au Royaume-Uni, Rights and Accountability in Development (RAID), et par le Centre d’Aide Juridico-Judiciaire (CAJJ), un centre d’aide juridique congolais spécialisé dans le droit du travail.
Quatre des cinq mines présentées dans le rapport ont déclaré avoir élaboré des normes internes en matière de droits humains, avoir adhéré à des initiatives du secteur pour une exploitation minière plus éthique ou avoir pris des engagements publics pour promouvoir et défendre les droits de leurs travailleurs. Cependant, la mesure dans laquelle ces engagements sont transposés dans la pratique est souvent peu claire.
Dans leur rapport, RAID et CAJJ tracent le cobalt sur toute la chaîne d’approvisionnement, des cinq mines de cobalt industrielles jusqu’aux fabricants de véhicules électriques, comme General Motors, Renault Group, Tesla, Toyota, Volkswagen et Volvo, entre autres. Ces sociétés en contact avec les consommateurs cherchent souvent à démontrer qu’elles s’approvisionnent en minéraux de manière responsable. Cependant, aucune des initiatives du secteur visant à démontrer que le cobalt est « propre » n’est contraignante pour les sociétés et beaucoup ne traitent pas des problèmes plus larges liés aux droits du travail.
RAID et CAJJ ont appelé toutes les sociétés minières de cobalt et de cuivre opérant au Congo à mettre fin au recours intensif aux entreprises de sous-traitance pour leurs besoins en main-d’œuvre, à payer à tous les travailleurs congolais (embauches directes et indirectes) le salaire de subsistance, et à prendre des mesures immédiates pour répondre aux allégations de violence physique, de racisme et de discrimination à l’encontre des travailleurs congolais. Les organisations ont incité les constructeurs automobiles à mettre fin aux contrats avec leurs fournisseurs de cobalt qui ne prennent pas les mesures adéquates pour remédier à l’exploitation des travailleurs.
Elles ont également appelé à la mise en œuvre de mesures robustes pour créer des incitations au changement et une responsabilité réelle tout au long de la chaîne d’approvisionnement du cobalt. Selon les organisations, ces mesures nécessitent que les gouvernements adoptent des cadres juridiques solides, telle qu’une réglementation de diligence raisonnable en matière de droits humains contraignante – exigeant que les sociétés gèrent les impacts négatifs de leurs opérations sur les droits humains et l’environnement – ainsi que des programmes sectoriels plus solides couvrant les droits des travailleurs.
« L’urgence de la crise climatique exige une action de la part du secteur et des gouvernements, qui ne sacrifie ni les personnes ni la planète”, a déclaré Van Woudenberg. “La production de batteries « éthiques » sans exploitation de travailleurs, sans violation des droits humains ni préjudice environnemental, qui participe à une transition juste et ne reproduise pas les injustices de l’économie basée sur les énergies fossiles, est capitale. »
Notes :
Les mines et leurs sociétés mères couvertes par l’étude sont les suivantes : (i) Kamoto Copper Company (KCC) de Glencore, (ii) Metalkol RTR de Eurasian Resources Group, (iii) Tenke Fungurume Mining (TFM) de China Molybdenum, (iv) Société minière de Deziwa (Somidez) de China Nonferrous Metal Mining Company (CNMC), dont la compagnie minière publique congolaise Gécamines détient 49 % des parts, et (v) Sino-congolaise des mines (Sicomines), une co-entreprise entre Gécamines et un consortium de sociétés et d’investisseurs chinois.
RAID et CAJJ ont calculé qu’ensemble, ces mines produisaient près de la moitié de l’approvisionnement mondial en cobalt en 2020.
RAID et CAJJ ont calculé le salaire de subsistance à Kolwezi sur la base de la méthodologie du « panier de dépenses minimum » (MEB) utilisée par les agences des Nations Unies.
Pour plus d’informations :
Le résumé détaillé du rapport en français est disponible ici
Le rapport complet (anglais), « La route de la ruine ? Les véhicules électriques et les violations des droits des travailleurs dans les mines industrielles de cobalt au Congo » ” – cliquez ici.
Correspondance entre RAID / CAJJ et les compagnies minières voir ici; avec les fonderies et raffineries voir ici, et avec les constructeurs automobiles, voir ici.