(Londres, le 16 mars 2020) – Glencore a ignoré les signalements de blessures graves des habitants vivant près de son site pétrolier de Badila au Tchad après un déversement d’eaux usées et une fuite d’oléoduc en septembre 2018, a révélé un nouveau rapport publié aujourd’hui. Le site pétrolier de Badila est exploité par PetroChad Mangara Ltd, une filiale détenue à 100 % par Glencore Plc, l’une des plus grandes sociétés de ressources naturelles au monde.
Le rapport publié par l’ONG britannique de surveillance de la responsabilité des sociétés, RAID, décrit la rupture, le 10 septembre 2018, d’une digue d’un bassin retenant de l’eau de production, un sous-produit de la production de pétrole brut. Les eaux usées se sont déversées dans la rivière Nya Pende, essentielle à la vie quotidienne de milliers d’habitants locaux. Deux semaines plus tard, la situation s’était encore aggravée, lorsque les habitants locaux ont constaté une fuite de pétrole brut d’un oléoduc de Glencore près de la rivière.
RAID a effectué une mission sur le terrain de 11 jours dans les villages autour du site pétrolier de Badila en juin 2019 et a passé en entrevue 116 personnes. Au moins 50 habitants locaux, dont de nombreux enfants, ont raconté qu’ils ont souffert de brûlures, de lésions cutanées et de pustules après s’être baignés dans l’eau de la rivière dans les jours et les semaines qui ont suivi. D’autres ont rapporté des troubles de la vision, des maux d’estomac, des vomissements et des diarrhées après avoir utilisé l’eau. Certains ont nécessité une hospitalisation, dont au moins 2 enfants. Les habitants locaux ont remarqué que des poissons morts flottaient à la surface et plusieurs dizaines d’animaux d’élevage sont morts brusquement après avoir bu l’eau de la rivière.
« À plusieurs reprises, Glencore a fermé les yeux sur les signalements de dizaines de blessures par les habitants locaux, ignorant simplement les plaintes comme si elles n’étaient pas importantes », a déclaré Anneke Van Woudenberg, la directrice exécutive de RAID. « Les habitants locaux pensent que ces blessures ont été provoquées par des substances toxiques suite au déversement et/ou à la fuite de l’oléoduc, mais 16 mois plus tard, Glencore n’a toujours pas mené d’enquête approfondie et indépendante. »
D’après les habitants, le bassin d’eaux usées de Glencore fuyait déjà depuis des semaines avant que la digue ne cède, mais la société n’a pas traité le problème correctement. Glencore a tenté, sans succès, de persuader les chefs locaux et le gouvernement tchadien d’autoriser un déversement contrôlé, mais la société n’avait apporté aucune preuve démontrant que les eaux usées seraient sans danger et sa demande a ainsi été rejetée.
Parmi les cas les plus graves, on peut citer un garçon de 13 ans, Jean (un pseudonyme), du village de Karwa, qui est allé se baigner dans la rivière en aval du déversement et de la fuite de pétrole signalée. Il se souvient qu’il avait remarqué la présence de pétrole à la surface de l’eau. Peu après son baignade, sa peau a commencé à brûler et des pustules sont apparues sur l’ensemble de son corps. À peu près à la même date, Paul (un pseudonyme), âgé de 11 ou 12 ans, a conduit son troupeau de bœufs à la rivière pour les abreuver. Il s’est accroupi dans l’eau et s’est éclaboussé le visage pour se rafraîchir. Sa peau a commencé à brûler et des pustules sont apparues sur ses chevilles, ses mains et son visage. Certains des bovins qui ont bu l’eau sont morts plus tard.
Les deux garçons ont fini à l’hôpital. Jean, éprouvant une douleur intense, a été conduit par sa famille chez un médecin local qui a indiqué que « les plaies [étaient] causées par le pétrole brut » et qui a recommandé à la famille d’accompagner Jean à l’hôpital de Moundou, à quelque 50 kilomètres de là. Mais l’hôpital n’a pas été en mesure de traiter correctement Jean et a préconisé des soins spécialisés au Cameroun, que la famille n’avait pas les moyens de payer. Paul s’est aussi rendu à l’hôpital de Moundou. Un membre de sa famille a raconté à RAID que le médecin avait conclu que les blessures de Paul étaient dues au contact avec une « mauvaise eau » qui contenait des hydrocarbures.
Lorsque RAID a rencontré Jean et Paul en juin 2019, leurs cicatrices étaient toujours visibles. Jean était renfermé et a indiqué qu’il souffrait toujours. Il a décrit ces événements comme « les plus douloureux de sa vie ».
Glencore a été averti de ces blessures et d’autres. Une équipe de Glencore a rendu visite à Jean chez lui et a pris des photos de ses lésions, mais n’a mené aucune évaluation complémentaire et n’a officiellement enregistré aucune plainte. Glencore a déclaré ultérieurement que Jean souffrait d’« une maladie couramment observée pendant la saison des pluies », maisi la société n’a pas mentionné le nom de cette maladie. Dans le cas de Paul, un rapport de deux pages rédigé par le personnel de Glencore a conclu que ses lésions n’étaient pas cohérentes avec son récit et qu’elles n’avaient pas été causées par les activités de Glencore, car ils estimaient que le garçon s’était baigné dans un lieu en amont des opérations de la société. Paul et sa famille n’ont pas vu le rapport et n’ont pas eu la possibilité de le commenter.
Glencore réfute le fait que le déversement a créé un risque pour la santé des communautés locales et a indiqué que les eaux usées issues du bassin étaient, pour l’essentiel, des eaux de pluie. Dans une correspondance écrite avec RAID et lors d’une réunion en octobre 2019, la société a expliqué qu’elle basait ses conclusions sur un échantillon prélevé dans le bassin le jour du déversement, qui « s’est avéré être dans les limites requises par les normes de performance de la Société financière internationale ». Mais RAID a remis en question cette conclusion, car certains des résultats ont révélé des niveaux qui dépassaient ces normes et plus de la moitié des critères de la SFI n’ont pas été testés. Glencore n’a pas communiqué ces résultats ni ceux d’autres tests aux communautés locales.
Les employés locaux de Glencore ont reçu des appels concernant les blessures et la mort d’animaux d’élevage dans les semaines qui ont suivi le déversement d’eaux usées, mais ils n’y ont pas donné suite, se basant sur le test affirmant que les eaux usées étaient sans danger. Glencore a déclaré qu’elle a versé une indemnisation dans le cadre de 89 plaintes concernant les dommages sur les cultures et les arbres causés par l’inondation, mais que « parmi les plaintes reçues… aucune n’était liée à des blessures » et que, par conséquent, elle « n’a pas enquêté sur les plaintes de cette nature ».
Concernant la fuite de l’oléoduc rapportée en septembre 2018 par des habitants, qui a fait l’objet d’une enquête menée par un groupe de la société civile local, Glencore a répondu qu’il n’y avait « aucune fuite d’oléoduc consignée » en date du 26 septembre 2018. Elle a déclaré qu’une maintenance a été effectuée sur le pipeline à un emplacement similaire les 16 et 17 août 2018, mais qu’il n’y avait aucun dommage sur le pipeline lui-même ni aucune fuite d’hydrocarbures. Elle a indiqué qu’elle s’est rendue sur la zone le 21 octobre 2019 et a pu « confirmer l’absence de signe de rejet d’hydrocarbures à proximité », mais elle n’a fourni aucun détail sur les tests qui ont été réalisés, le cas échéant, pour confirmer cette conclusion.
Glencore a déclaré : « Nous continuons de penser que les cas médicaux identifiés ne sont pas liés à nos opérations, cependant, nous nous engageons à tenter d’en comprendre les causes profondes ». Glencore a informé RAID que suite à ses recherches, la société est en train de réviser ses protocoles d’échantillonnage et de test des eaux et que son mécanisme de réclamation fera l’objet d’un audit interne. Elle a aussi confirmé l’embauche d’un consultant indépendant pour mener une évaluation des eaux souterraines, des eaux de rivière et des échantillons de sol autour de la concession de Badila ainsi que la mise en œuvre d’une « évaluation des risques d’impact pour la santé indépendante ».
RAID salue ces engagements et invite la société à publier toutes les conclusions.
« Glencore a manqué à ses obligations envers la communauté tchadienne locale autour de son site pétrolier de Badila à maintes reprises et aurait dû mener une enquête complète sur les préjudices dès que les habitants locaux ont soulevé ces problèmes », a conclu Anneke Van Woudenberg. « Glencore indique qu’elle s’est engagée à agir de manière responsable, mais la façon dont elle a géré le déversement et ses répercussions suscite de graves questions et devrait inciter les gouvernements à renforcer la réglementation des sociétés afin que les belles paroles soient suivies d’actions concrètes. »
Liens supplémentaires :
Pour lire le rapport complet (en anglais), cliquez ici
Toutes les correspondances entre RAID et Glencore (en anglais) sont disponibles ici.
Pour consulter d’autres publications de RAID sur Glencore :
Blog (en anglais) : Glencore growing legal troubles with Katanga Mining
Blog (en anglais) : Applause for SFO on Glencore probe, but what progress on ENRC?
Rapport (en anglais) : PR or Progress? Glencore Corporate Responsibility in the DRC (juin 2014)
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